lundi 4 mai 2015

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8 raisons de lire "Qatar Act"




1 – Pour commencer, c'est gratuit ! Disponible en PDF ou en EPUB. Pour l'obtenir, il suffit d’envoyer un message à l’adresse suivante : pascal@nantes.fr 
Les premières pages sont également disponibles ici

2 - Une intrigue riche
. Les premiers lecteurs ont apprécié le rythme de l’histoire, pas de temps morts, du suspens et de belles surprises. On a envie de tourner la page pour découvrir ce qui va se passer. C’est dynamique et léger. Idéal pour lire dans un transport en commun ou sur la plage c’est encore temps ! Ou quand on a juste envie de s’accorder un moment de détente.

3 - Une réflexion politique
. C’est le cœur du roman. La Conférence de Paris (COP21) sur les changements climatiques va avoir lieu à la fin de l’année, un grand déballage médiatique en perspective et certainement une montagne qui va accoucher d’une souris, comme d’habitude. Dans ce roman, une rencontre très importante se préparer très discrètement. Elle va avoir lieu au Qatar, elle réunira les personnalités les plus influentes qui auront le profond désir de modifier en profondeur le fonctionnement de l’humanité… On leur proposera des outils, la sociocratie, le forum ouvert…

4 - Un style d’écriture adapté aux outils numériques :
Les chapitres sont courts, leur format se rapproche de celui des posts d’un blog, cela permet une lecture plus fluide sur un Smartphone ou sur une tablette.
Toutefois, dès que ce sera envisageable, une version papier sera mise à la disposition des lecteurs qui préfèrent ce support.

5 – Une offre économique. Le choix de la publication sur le site Amazon au format Kindle permet de réduire considérablement les coûts par rapport à ce qui se pratique dans le monde de l’édition traditionnelle. On peut avoir des réticences vis-à-vis de la politique sociale et économique de l’entreprise en question, j’en ai. Toutefois c’est la moins mauvaise formule pour diffuser à bas prix le livre d’un auteur inconnu. En achetant sur le site on peut télécharger un outil gratuit permettant de lire le roman sur un Smartphone ou sur un ordinateur.

6 - Du suspens : Il n’est pas aisé de convaincre les Grands de ce monde de modifier leur mode de fonctionnement, les événements s’enchaînent à un rythme soutenu pour que l’objectif initial soit atteint. "Attendez-vous à être surpris" !

7 - Des voyages :
le récit est divisé en cinq actes qui se déroulent chacun dans un lieu différent. L’histoire va proposer au lecteur de se promener de New-York à Doha en passant par Moscou, Pékin, l’île de Jeju et Carcassonne. Pas mal de voyages en avion et du temps passé dans différents aéroports. Nous découvrirons pourquoi le transsibérien fait de temps à autre "tac-a-tac" et nous pourrons voyager à bord d’un concept-car Citroën.

8- Une dose d’érotisme :
Bon, ce n’est pas 50 nuances de Grey, mais quand même : une intrigue amoureuse forcément compliquée va donne lieu à des rapprochements variés, multiples… Avec une juste dose de spiritualité.



Act 1 - New York

Chapitre 1  -  Chapitre 2  -  Chapitre 3  -  Suite

- Mais c'est un truc de vieux ça ! 

S’écrie la femme visiblement très contrariée par le diagnostic. Elle sort un I-phone de son sac à main et commence à tapoter sur les touches. Le docteur Jackson attend. Le Smartphone sonne, sa propriétaire s’éloigne dans un coin de la pièce et entame une conversation animée. C'est une femme élégante, des yeux noirs, vifs, scrutateurs ; les cheveux mi-longs, châtains, attachés par une queue de cheval. Elle porte un tailleur strict avec une broche en or orné d'un saphir comme ses boucles d'oreille, elle a cinquante trois ans comme chacun sait, même vue de près, elle en fait dix de moins. Et puis elle dégage quelque chose…
L'ophtalmologiste a la nette impression d’être passé au second plan des préoccupations de sa patiente. Ce n’est pas du tout comme ça que ça se passe ordinairement.
Mike Jackson s’assoit sur une chaise de la table ovale, ouvre son vieux cartable d’étudiant, qu’il a dû prendre précipitamment tout à l’heure et en extrait son bloc d’ordonnances. Il relève la couverture et contemple la première page, c’est du beau papier fuchsia agrémenté d’un liseré indigo ; la classe ! Il enlève le capuchon de son stylo Mont-blanc et cherche quelque chose à écrire. Cela me donnera une contenance, pense-t-il.
-    Je suis à vous dans une minute, lui dit la femme qui se rapproche en écrivant un message sur son téléphone.
Ça ne va pas du tout ça ! se dit le praticien. En principe c’est le docteur qui fait attendre ses patients. Il aime bien en jouer d’ailleurs. Souvent, il interrompt ses consultations juste avant d’annoncer son verdict, consulte les relevés d’analyse, pianote sur son clavier d’ordinateur, prend son temps facturé au moins 485 dollars l’heure… histoire de faire monter la pression, de montrer qu’il est un homme très exigeant, très consciencieux ; de faire croire qu’il a besoin de mobiliser tout son savoir pour justifier ses honoraires quasiment indécents.
Il se gratouille le lobe de l’oreille avec le capuchon de son stylo ; il faut que je trouve quelque chose à écrire, se dit-il. Mais quoi ? Ses pensées vagabondent, il pense à Krystal, la jolie assistante avec qui il effectuait la position de la brouette juste avant que son cabinet soit littéralement pris d'assaut par une impressionnante équipe du FBI.
-          Et ça s’attrape comment docteur ?
-          La fatigue, le stress… si je peux me permettre de m’exprimer ainsi. Savez-vous si vous avez des antécédents familiaux ? Si je peux me permettre de m’exprimer ainsi.
-          Excusez-moi. 
L’I-phone vient de vibrer discrètement, à nouveau la patiente s’éloigne.

Mine de rien je suis sacrément impressionné, se dit Mike Jackson, j’ai pourtant l’habitude de rencontrer du beau monde, puisque je suis l’un des plus réputés et certainement le plus cher : Lisa Minelli, Brad Pitt, Harban Koben, Stevie Wonder (enfin pour lui, ça n’a servi à rien !)… Ce n’est pas toujours facile de prendre l’ascendant naturel du thérapeute sur le patient quand on a en face de soi des personnalités célèbres, n’empêche que là, ça dépasse tout !
Il se met à écrire, mobilisant ses pensées pour relater consciencieusement la scène entamée avec Krystal : Dans cette position Krystal s'est agenouillée en croisant les bras devant elle pour y appuyer la tête... Le stylo trace rapidement de fins caractères sur la feuille ; puis elle s’est cambrée et a soulevé ses jolies fesses. Debout derrière, j’ai attrapé …
-          Hum, hum… je suis à vous.
L’ophtalmo, par pur esprit de bravade, continue sa phrase : ses chevilles et j’ai soulevé les jambes pliées de ma partenaire jusqu'à ce que son corps se retrouve presque perpendiculaire au sol. Il revisse le capuchon de son stylo, inspire profondément et regarde sa patiente droit dans les yeux :
-          Oui ?
-          Jamais vu personne dans ma famille porter des lunettes, même ceux qui ont vécu très vieux : bon pied, bon œil ! c’est la devise chez moi au Nebraska.
-          Je vous croyais originaire d'Hawaï.
-          Non, vous avez sauté certains passages de ma biographie, j'ai simplement grandi là-bas. Peu importe, je vous rappelle que je suis en consultation pour mes yeux.
-          Heu, oui, je vous prie de m'excuser. Cela signifie que ce sont des causes qui vous sont propres. L’œil indique parfaitement l’état de santé général, tant sur le plan physique que sur le plan psychologique. Je diagnostiquerais que vous avez vécu un trop-plein d’émotions et de tensions, si je peux me permettre de m’exprimer ainsi.
-          Mouais, c'est vrai que depuis la dernière élection, le Congrès me mine… et vous êtes sûr de votre diagnostic ? 
-          Cert…
Et le téléphone sonne à nouveau. Et la femme retourne dans le fond de la pièce. Ben oui, j’suis sûr ! se dit Mike Jackson. Aucun doute.

A son arrivée ici, on a fait prendre au docteur un ascenseur qui l’a descendu dans un sous-sol digne d’un film de science-fiction. Cet espace contrastait beaucoup avec la partie aérienne de la bâtisse de style géorgien. Il a été guidé à travers de nombreux couloirs jusqu’à ce qu’on le fasse pénétrer dans un labo d’ophtalmologie doté d’un équipement dernier cri. Il lui a fallu attendre une bonne demi-heure avant que la patiente arrive. Il a tué le temps en essayant le tout nouveau frontofocomètre CCQ 26 000, la Rolls-Royce des frontofocomètres ! Il aurait bien voulu avoir le même dans son cabinet. Trop cher et superflu. Tel fut le verdict de son comptable.
Sarah Donaldson est arrivée arborant son habituel sourire chaleureux, elle est devenue plus grave en décrivant les symptômes dont elle souffre. A un moment elle a fini par abandonner la carapace de la personnalité politique de tout premier plan qu'elle est. Madame Donaldson est devenue une femme vulnérable, inquiète. Jackson aime bien ce moment de la consultation, il guette le voile de doute qui trouble le regard ; généralement il en profite pour faire semblant d'analyser finement les relevés des tests, il souligne au stylo rouge telle ou telle donnée, il arbore une expression songeuse légèrement teintée de gravité. Il fait très bien cela.
Mais ce matin il s'est abstenu de jouer ce rôle. Il se sent un peu déstabilisé. Après la batterie de tests que le docteur a dû réaliser lui-même - ce qu’il ne fait jamais - on l’a conduit dans cette salle où il a fallu à nouveau attendre pendant presqu’une heure. Quelle matinée ! soupire-il avant de se remettre à la rédaction de son texte.

-           Bon, on ne va pas s’en sortir de cette histoire, je coupe le portable. Je vous accorde un quart d’heure. Soyons concis. Comment va évoluer ma vision ?
-          La cataracte va peu à peu opacifier votre cristallin, vous allez être de plus sensible à la lumière et voir de moins en moins bien. Si je peux me perm…
-          Les traitements ?
-          La chirurgie : opération bénigne, on enlève le cristallin et on en greffe un artificiel à la place. Vous retrouvez votre vue sauf pour la vision de près car il y a un manque d'accommodation. Il faut donc porter des lunettes pour remédier à la presbytie.
-          Des lunettes ? Pas question ! Une alternative ?
-          Greffe cornée-cristallin. Un peu plus lourd : une semaine pour retrouver une vision correcte, il faut trouver un donneur… Si je peux me permettre de m’exprimer ainsi.
-          C’est bien le diable si… On trouvera ! attendez, je passe un coup de fil. 

Et rebelote, se dit intérieurement l’ophtalmo. Si ça se trouve je ne vais même par être payé pour cette histoire. Enfin quand même, regarder la Présidente dans le fond de l’œil, ça n’a pas de prix. Et puis ça m'a émoustillé tout à l'heure de la voir perdre de sa superbe, ça serait intéressant, la brouette, avec elle… Allons, allons. Je me demande si je ne suis pas un peu vicieux sur les bords, il faudra que j'en parle à mon psy… sauf que si je lui dis que je fantasme sur la Présidente des Etats Unis, il va vouloir augmenter ses tarifs… 224 €uros pour à peine une demi-heure c'est déjà bien trop cher…
La conversation téléphonique dure encore plus longtemps que les précédentes. Il reprend son stylo. Il a le temps de bien avancer son texte. Il décolle la première feuille du bloc et commence à rédiger la seconde ; cela commence à être à la fois consistant et croustillant.

-          C’est OK pour mardi prochain. Venez, je vous raccompagne. 
Cela claque comme un ordre. Le docteur Mike Jackson n’a que le temps de se lever précipitamment, de rassembler rapidement son matériel, de prendre son cartable sans même le refermer qu’il se retrouve sur le perron de la Maison Blanche. La Présidente lui serre vigoureusement la main.
-          Et vous allez pouvoir vous libérer de vos charges pendant toute une semaine, madame Donaldson ? Si je peux me permettre de m’exprimer ainsi.
-          J’ai fait le nécessaire, il y a juste la visite du président de la Commission européenne que je ne peux pas annuler. Je le recevrai à Camp David, vous m’opérerez là-bas, il y a tout ce qu'il faut pour cela. A très bientôt monsieur Jackson.

Après avoir longuement serré la main de la Présidente, l’ophtalmo se dirige vers le gros 4X4 du FBI, s’assoit à l’arrière et se retourne pour jeter un œil sur le perron. Consterné il voit la présidente des Etats Unis d’Amérique qui est en train de lire une feuille de papier fuchsia. Grand moment de solitude… Mike Jackson envie soudain le sort des prisonniers des goulags qui travaillent dans des mines de sel en Sibérie. Sarah Donaldson relève la tête et se précipite vers la voiture, elle frappe à la vitre de l’ophtalmo, le conducteur la fait descendre : c’est quoi le job de Krystal ?
-          Elle étudie la chirurgie des yeux, bredouille Jackson, elle vient juste de soutenir sa thèse.
-          Elle vous assistera pour l’opération, si je peux me permettre de m’exprimer ainsi ! Conclut la Présidente avec un grand sourire. 

     La suite...

dimanche 3 mai 2015

2/9

Chapitre 1  -  Chapitre 2  -  Chapitre 3  -  Suite



 

Le Président s’assoit dans son fauteuil derrière son bureau, ajuste sa cravate et invite d’un geste autoritaire son interlocuteur à prendre place dans la chaise en face. Il reste un moment silencieux, tournant les pages d’un volumineux rapport ; avec son stylo-plume, il souligne ou entoure certains passages.

Jean-Gabriel pose sa canne contre son fauteuil, s’assoit et attend. Tout est calme, aucun bruit, juste le gratouillis de la plume sur le papier et le tic-tac cristallin égrainé par une petite horloge qui doit valoir son poids en or, si ce n’est plus. Les boiseries, les tableaux, le mobilier… dans l’immeuble ultramoderne de la Commission européenne, cette pièce est décorée avec beaucoup de classicisme comme si l’intention était de montrer que l’Europe plonge ses racines dans l’Histoire, qu’elle y puise depuis plusieurs siècles ce qui constitue son rayonnement, sa grandeur. Tout respire le luxe, même l’odeur semble précieuse. Il n’aime pas. Il suppose que l’intention est d’impressionner les visiteurs, de faire en sorte qu’ils soient intimidés par les ors de la Commission européenne. Il ne se sent ni impressionné, ni intimidé, juste incommodé. Il se demande s’il a bien fait de venir. Mais avait-il le choix ?

Traducteur-libraire, installé à Marche-en-Famenne en Wallonie, spécialiste en philosophie occidentale, il ne parvient pas à joindre les deux bouts. Pas assez de clients, trop de charges, un peu de laisser-aller dans sa comptabilité… il risque de devoir déposer la clé sous la porte s’il ne trouve pas un job rémunérateur. Mettre au service de l’Europe sa parfaite connaissance de douze langues différentes pourrait constituer une solution acceptable. C’est pourquoi il a postulé pour ce job d’interprète.

Il rajuste sa position sur sa chaise, sa jambe lui fait un peu mal ; c’est comme ça quand il se sent un peu stressé. Il pourrait envisager une opération du genou mais ça lui coûterait trop cher alors il continue à utiliser sa vieille canne.

Le silence s’éternise juste ponctué par le tic-tac de la pendule. Jean-Gabriel passe sa main sur son crâne chauve Une idée lui vient, autant jouer cash se dit-il. Il sourit en envisageant la suite de l’entretien.



Le Président tripote son nœud de cravate avant de reprendre la parole. Jean-Gabriel écoute. Il lui est fait un compte rendu des lacunes qui apparaissent dans le rapport : si la maîtrise de la langue écrite ne pose pas de problème il n’en va pas de même avec l’oral. Quelques approximations ont été constatées aussi bien en russe qu’en chinois, fort heureusement il a très bien déjoué les pièges des tests en anglais et en anglo-américain.

-          C’est un point très favorable. Il y a aussi votre capacité d’apprentissage, vous parvenez à mémoriser un lexique très vite et à l’utiliser à bon escient.

Le Président lisse à nouveau sa cravate et ajoute : Enfin ce qui m’a beaucoup intéressé c’est votre parcours, il est totalement atypique, mais il me donne à penser que je peux croire à votre probité : j’ai le sentiment que je peux vous accorder la plus totale confiance. Toutefois…

-          Elle vous gêne ?

-          Quoi ? Qu’est-ce qui me gêne ?

-          Votre cravate.

Le président de la Commission européenne lui jette un regard interloqué.

-          Je vous propose le poste de traducteur officiel de la Présidence et vous me parlez de ma cravate, je ne vous comprends pas !

-          C’est important de se sentir bien dans ses vêtements… vous devriez l’enlever.

-          Quelle idée ! Jamais de la vie !

-          Pourtant vous seriez plus à l’aise.

-          Mais j’aurais l’air de quoi ?

-          D’un type qui se libère de l’emprise d’une certaine forme de société. La cravate c’est un peu la corde du pendu. L’homme, qui se revendique comme appartenant à une certaine élite, porte ce symbole autour du cou en attendant de croiser le gibet où on va pouvoir le pendre.

-          Comme vous y allez ! en plus vous vous méprenez sur mon geste. Je vérifie la position de la cravate parce que c’est un prototype.

-          Voyez-vous ça…

-          Oui, les ingénieurs d’un institut italien de recherche du textile ont travaillé un métier à tisser dynamique qui permet d’exercer une tension adaptée sur les fils de chaîne du tissu. Le prototype a été réalisé en Allemagne et il est à l’essai en France. Il y a aussi certains fils de trame qui sont en matière résiliente, cela a été développé en Lettonie. La résilience permet de compenser l’angle plus ou moins prononcé pris par le nœud.

-          Bien content de savoir comment l’Europe utilise nos impôts !

Le Président fixe son interlocuteur et s’empourpre, un masque de colère commence à durcir ses traits. Jean-Gabriel soutient son regard. Tranquillement. Il se demande s’il n’y est pas allé un peu fort tout de même. Il se dit qu’il va peut-être se faire tarnakiser. Il aime bien ce verbe qu’il vient d’inventer, une petite pensée pour Julien Coupat tandis que le Président reprend ses esprits, esquisse un léger sourire un peu figé au début puis qui se décrispe totalement. Jean-Gabriel sourit à son tour.

-          Vous me bluffez !

-          Écoutez Monsieur le Président, je ne comprends pas qu’on accepte de porter cet engin de torture. J’ai supporté la cravate pendant un an : un supplice. C’était quand je faisais mon service militaire en Polynésie Française.

-          Ah ? J’ai dû sauter ce passage dans votre dossier. J’ai bien vu que vous étiez en délicatesse avec la France…

-          Oui, il y a quelque temps on m’a invité à changer d’air… mais à l’époque j’ai eu à subir le "passage sous les drapeaux", c’était avant que Chirac ne supprime cette connerie.

-          C’est vous qui le dites… Et si vous n’avez pas eu à goûter au plaisir du treillis, que faisiez-vous donc ?

-          Secrétaire dans la marine à Papeete, joli coin mais un peu paumé. J’en ai profité pour apprendre le tahitien et un peu l’hawaïen parce que j’avais un correspondant qui faisait le même job que moi chez les Marine’s, ça nous permettait de tuer le temps en dialoguant par radio dans les langues vernaculaires du secteur. Et vous, Monsieur le Président, avez-vous goûté les joies de la vie militaire ?

-          J’étais élève officier de réserve dans la marine de sa royale Majesté.

-          Chacun ses petits travers !

-          Dites donc Monsieur Pennac ! je vous trouve bien…

-          Le Président se lève, il marche de long en large un moment, il est petit, un peu enveloppé, ses cheveux bruns et teints commencent à se clairsemer, son nom sonne comme celui d’un grand hollandais athlétique et musclé : il n’en n’a pas le look et le déplore. Jean-Gabriel reste silencieux. Il attend. Arnold Van Cliff esquisse le geste de rajuster sa cravate mais se retient. Il vient s’assoir près de son interlocuteur. Seule l’horloge rompt le silence. Tic-tac. Jean-Gabriel plonge son regard dans les yeux du Président.

-          Qu’est ce que vous allez décider ? Vous pouvez choisir de m’embaucher ou bien me trouver des poux dans la tête pour me mener une vie d’enfer parce que vous m’avez trouvé franchement gonflant et irrespectueux. Vous en avez la possibilité. Si ça se trouve, c’est un choix crucial que vous avez à faire. Allez donc savoir ! Franchement, je ne voudrais pas être à votre place… C’est la solitude du pouvoir ça, Monsieur le Président.

-          De fait.

-          Écoutez, ils m’ont fait traduire un passage du Kama Soutra en russe, en anglais, en chinois et même en portugais ; la position de la brouette… je ne savais même pas que ça existait ! Si nous choisissons de travailler ensemble je m’engage à traduire fidèlement vos propos et ceux de votre interlocuteur. Je n’aime pas tout ce que vous faites, ni l’institution que vous présidez, tant s’en faut, mais je vous aime bien. Je vous traduirai, je ne vous trahirai pas.

-          Je préférerais.

-          Vous savez, dans la situation de conversation, le traducteur doit rester extrêmement concentré sur les propos et le contexte immédiat, c’est un exercice qui demande une grande attention. Ça semble difficile de s’amuser à modifier le sens de ce qui est dit, d’autant qu’on parle sous le contrôle du traducteur de l’autre personne. Si vous avez le moindre doute vous n’aurez qu’à observer l’expression de son visage. Vous verrez bien s’il tique à ce que je dis.



Arnold Van Cliff se dirige vers la fenêtre et contemple en silence le ciel de Bruxelles. Tic-tac… il se retourne et regarde longuement Jean-Gabriel Pennac
assis face au bureau, cet homme semble placide, sans nul doute irrévérencieux mais assurément pas carriériste et il y a la canne : un bâton un peu noueux, poli par l’usage… il en connaît l’histoire, c’est cet objet qui le décide.

-          Très bien, je vous fais confiance. Juste une question vous êtes au courant pour Mathilde ?

-          Bien sûr, comme tout le monde.

-          Bien. Je n’ai pas de Première dame qui pose à mes côtés sur les photos officielles, Il m’arrive d’être cafardeux…

-         

-          Bon, nous commençons mardi prochain, nous irons à New York. Je dois me rendre au siège de l’ONU pour une réunion sur l’inscription au patrimoine immatériel de l’humanité, j’y rencontrerai Madame Donaldson. Ensuite nous enchaînons par une petite tournée dans des entreprises européennes implantées aux États Unis et pour terminer une visite privée à Camp David en fin de semaine.

-          Excusez-moi Monsieur le Président mais il me semblait que la question de la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel relevait de l’UNESCO.

-          Exact. Vous marquez un point en faisant cette remarque, j’apprécie. Il s’agit d’un rapprochement entre les deux organisations, un événement très important, c’est pour cela que la présidente des États Unis y assistera.

-          Je comprends mieux.

-          Après cela, vous irez passer un moment en Russie et en Chine, je veux que vous soyez complètement à l’aise avec ces deux langues car vous devrez être totalement opérant dans deux mois. L’Union européenne organise un sommet important au Qatar, nous aurons la visite de Sarah Donaldson, Stanislas Kamarov et Yang Penjing.

-          États Unis, Russie et Chine ! belle affiche ! ils seront là en même temps ?

-          Non hélas, ça aurait été trop beau, ils vont venir l’un après l’autre. Il n’empêche que ce que je souhaite c’est qu’on arrive à quelque chose de concret. Montrer la place, la grandeur de l’Europe sur l’échiquier du monde. C’est un sommet sur le thème des énergies fossiles. Si seulement on arrivait à changer quelque chose vis-à-vis de l’utilisation des réserves mondiales…

-          Vous y croyez ?

-          Bah !…. en tout cas préparez-vous, vous avez du pain sur la planche, vous aurez un programme chargé. Vous n’aurez bien sûr aucune mission officielle mais vous pourrez côtoyer des personnalités influentes ; tâchez de nouer des contacts.